
dans le judiciaire
Les avocats de la famille Dangnivo, après le conseil des ministres sur l’affaire adressent, contrairement à leur pratique une correspondance au chef de l’Etat. Ils s’indignent contre les insinuations incompatibles du gouvernement autant avec la nature de la profession d’avocat qu’avec la dignité de leur personne. Le professeur Djogbénou et ses pairs, sans violer le secret de l’instruction, passent au scanner le compte rendu du conseil des ministres.
Me Joseph Djogbénou invite le gouvernement à la retenue
Le professeur Joseph Djogbénou et ses pairs, avocats de la famille Dangnivo estiment que le compte rendu du conseil des ministres est la preuve que la confusion de genres et de fonctions est devenue la méthode de gouvernance du régime en place. Car, pour une affaire pendante devant la justice, les avocats observent qu’à toutes les étapes, le gouvernement a agi à la place des juges. La preuve d’une immixtion flagrante de l’Exécutif dans les affaires judiciaires. C’est donc une pathologie démocratique. Lorsque dans une affaire pénale, les autorités gouvernementales s’impliquent aux dépens de la justice, qu’elles s’engagent à établir des preuves sans laisser au juge le soin de les découvrir, la suspicion raisonnable est une expression de sagesse et la réserve nécessaire est un outil de salubrité. Ils ajoutent que le temps ainsi que le mode de pensée et d’action de la justice ne sont pas ceux du politique qui pense passer en pertes et profits la vie d’un être humain.
Sur un autre plan, les avocats soulignent que dans ce dossier, aucun parent n’a encore été régulièrement convoqué par aucun juge à quelque fin que ce soit. Par ailleurs, ils précisent que l’autopsie a été déjà faite aussi bien par les experts béninois que ceux venus de l’étranger. Mais à ce jour, les résultats n’ont pas encore été présentés à la famille alors que cela permet d’identifier le sexe, l’âge, la taille, les causes probables et la date du décès. Les avocats rappellent au chef de l’Etat qu’ils ne sont chargés ni d’une fonction publique ni élus, ès qualités, à aucune fonction politique. A ce propos, ils n’entendent pas sacrifier leur mission qui appelle à protéger l’individu faible et vulnérable contre un Etat fort et froid.
Lire ci-dessous l’intégralité de la correspondance adressée au chef de l’Etat.
Cotonou, le 18 octobre 2010
Monsieur le Président de la République,
Chef du Gouvernement
Palais de la Présidence
COTONOU
Objet : Réponse aux inquiétudes du Conseil des Ministres contenues dans son compte rendu non daté et publié par les parutions du jeudi 14 octobre 2010
Monsieur le Président de la République,
Il n’est pas de l’habitude des Avocats que nous sommes, constitués dans un dossier, notamment de nature pénale et en cours d’instruction, de s’adresser, non au juge en charge de l’affaire, mais au Président de la République, pris en sa qualité de Chef de Gouvernement.
C’est en raison de ce que, le Gouvernement de la République, sans doute pas assez informé ou insuffisamment conseillé, a laissé transparaître des insinuations incompatibles autant avec la nature de la profession d’avocat, libérale et indépendante, qu’avec la dignité de leur personne ainsi que celle des clients dont ils assurent, en dépit de toute la vague de pression, la défense.
Nous ne franchirons donc pas la limite de la violation du secret de l’instruction, en dépit de ce que, manifestement, la décision du Conseil des ministres ne s’est pas préoccupée de ce principe. Nous nous contenterons de porter à votre auguste attention, et par voie de conséquence, à celle de nos concitoyens, les observations nécessaires que nous inspirent le traitement fait par le Gouvernement des faits ainsi que de notre comportement en cette affaire.
Dans la décision visée en objet, il a plu au Conseil des Ministres, réuni en session extraordinaire sur un dossier en cours d’instruction, de déclarer que :
1. « Le gouvernement qui travaille sans désemparer pour un dénouement rapide de cette affaire, a actionné la Coopération internationale qui a permis d’envoyer au Bénin deux (2) médecins légistes dont l’un est français et l’autre Allemand, pour procéder, en collaboration avec les médecins béninois, à l’autopsie du corps exhumé et surtout au test d’ADN ordonné par le juge afin de se convaincre de son affiliation à sa famille d’appartenance et par voie de conséquence s’il s’agit ou non du corps du disparu en cause ».
2. « Mais grand a été l’étonnement du Conseil des Ministres de constater que les parents de DANGNIVO refusent de se prêter au test d’ADN… »
3. « Les parents de DANGNIVO, visiblement mal conseillés…. »
4. « Le Gouvernement appelle notamment les Avocats-conseil de la famille DANGNIVO au respect de la déontologie de leur profession d’auxiliaire de justice et à l’observation des dispositions de l’article 35 de la Constitution du Bénin aux termes desquelles « les citoyens chargés d’une fonction publique ou élus à une fonction politique ont le devoir de l’accomplir avec conscience, compétence, probité, et loyauté dans l’intérêt et le respect du bien commun ».
On peut oser un résumé : alors que le gouvernement travaille pour le règlement d’un dossier pénal en faisant appel à la coopération internationale, les victimes s’opposent et font « obstruction », parce que mal conseillées par des Avocats auxquels il faut rappeler le respect de leur déontologie et dont il faut s’assurer la compétence, la probité, le dévouement, la loyauté, puisque, en leur qualité établie de « citoyens chargés d’une fonction publique ou élus à une fonction politique », ils doivent rechercher l’intérêt et le respect du bien commun.
Il convient, avant d’apporter les précisions qu’appellent ces affirmations, de formuler quelques observations liminaires sur le contexte.
I Les observations liminaires
L’interprétation des faits et de l’exercice de la profession d’avocat dans un pays et dans une affaire où la confusion des genres et des fonctions est devenue une méthode de gouvernance inspirent les observations suivantes.
1. Lorsqu’il a semblé aux officiers enquêteurs d’avoir découvert un cadavre à WOMEY, et qu’il a été aussitôt établi, sans aucune preuve, que ce cadavre serait celui de l’absent, c’est le Garde des sceaux, Ministre en charge de la Justice, et non le Procureur de la République ni le juge d’instruction, qui informa la famille, dans ses bureaux, hors la présence de ses avocats, en leur présentant déjà ses condoléances et en les priant de le suivre sur le lieu de la découverte avec leur cercueil à moins qu’il soit fourni par l’administration. C’est le gouvernement qui a agi et non les juges.
2. Lorsque, à la suite des protestations, résultant des condoléances réitérées du parquet à la famille, il a plu de solliciter une expertise, ce fut le Chef de l’Etat, Chef du Gouvernement, qui fit appel, de son propre chef, « à la coopération internationale », sans réquisition du parquet, sans observations des Avocats, sans ordonnance du juge ; les ordonnances n’intervenant qu’a posteriori, alors même que les experts étaient déjà sur le territoire, que pour ratifier l’action gouvernementale. C’est le gouvernement qui agit et non les juges.
3. Lorsque face à de telles situations, la famille, à qui il est fait appel par voie de presse, d’emprunt des relations de toute nature, et non jamais par convocation du juge, a marqué une hésitation, c’est encore à la Présidence que les réunions se tiennent, avec à la rescousse, membres du clergé, présidents de certaines institutions de la République. Pas dans le cabinet du juge saisi. C’est le gouvernement qui agit et non les juges.
4. Lorsque encore, à la suite de ces pressions fortes, qui inclinent à la suspicion, les différents clergés ont été sollicités pour tenir une session œcuménique en vue de contraindre la famille aux prélèvements attendus, c’est à l’archevêché que cette réunion eut lieu, hors la présence des Avocats, désigné par le Gouvernement comme les obstacles à la réalisation de ses objectifs. Le juge est encore absent. Le gouvernement agit.
On voit bien, qu’en cette affaire, le gouvernement instruit, le juge tient la mémoire, assure la plume. Cela est déjà une pathologie démocratique, en forme d’immixtion flagrante dans les affaires judiciaires sur laquelle les ordres professionnels auraient dû élever les plus vigoureuses protestations.
II Les précisions nécessaires
Elles concerneront les considérations factuelles et la posture juridique contenues dans la décision du Conseil des Ministres.
A Sur les considérations factuelles
1. « Les parents de DANGNIVO refusent de se prêter au test d’ADN… ». Cette affirmation ne semble pas prendre en compte la réalité. « Les parents », expression juridiquement et judiciairement vague et d’une vacuité assez prononcée en matière pénale, ne peuvent prendre formellement position qu’après avoir été tout aussi formellement invités par une autorité judiciaire compétente. Dans ce dossier, aucun « parent », à tout le moins les personnes dont nous assurons la défense des intérêts, n’a encore été régulièrement convoqué par aucun juge à quelque fin que ce soit. Il est vrai qu’une ordonnance rendue le 5 octobre 2010 autorisant M. KLAUS PUESCHEL à effectuer les prélèvements indiquait aux parents de se présenter ce même jour, 5 octobre 2010, à 15 heures, à « l’Ambassade d’Allemagne ». Mais cette ordonnance fut transmise aux Avocats pendant qu’ils étaient reçus en audience par le Chef de l’Etat ce même jour et qu’ils devaient tenir une réunion technique au Ministère de la justice sur les aspects procéduraux du dossier. On se souviendra qu’à toutes ces rencontres, le Bâtonnier de l’ordre des Avocats était présent et qu’elles n’ont pris fin qu’à 18 heures. C’est à leur retour dans leur cabinet qu’ils ont pris connaissance de ladite ordonnance.
2. Si, ainsi que le souligne le compte rendu du Conseil des Ministres, la convocation de la coopération internationale en cette affaire a pour objectif de faire procéder à l’autopsie du cadavre exhumé à WOMEY, il n’est pas sans intérêt de rappeler que ladite autopsie a été déjà effectuée aussi bien par les experts béninois que ceux venus de l’étranger. Or, à ce jour, les résultats n’ont pas été présentés à la famille, qui, encore une fois, n’a jamais été interrogée par le juge d’instruction. L’autopsie, dont le rapport est encore sous le manteau permet déjà d’identifier le sexe, l’âge, la taille, les causes probables et la date du décès de la personne dont le corps est exhumé. C’est la discussion des résultats de cet examen qui permettrait au juge de décider s’il est opportun de procéder à une autre analyse scientifique.
B Sur les observations juridiques
1. Si, ainsi qu’il apparaît dans le compte rendu du Conseil des Ministre, les Avocats décidaient de s’ériger en « obstacles » à la procédure, ils n’auraient pas eu recours à la famille. Ils auraient pu, en usant des prérogatives que les lois de ce pays leur confèrent, interjeter appel contre certaines décisions du juge d’instruction qui, pourtant, méritent d’être querellées. Ils ne l’ont pas fait alors même que l’appel est suspensif des actes auxquels se réfèrent ces décisions : désignation non discutée d’experts étrangers contestable dans son principe et dans son exécution ; violation des droits des parties civiles etc.
2. Les avocats ne sont pas chargés d’une fonction publique et ne sont élus, ès qualités, à aucune fonction politique. Ils sont appelés à défendre les causes qui leur sont soumises, et, en cette affaire, nous sommes constitués par des personnes dénommées et la Fédération des Syndicats des travailleurs des Finances (FESYNTRA-FINANCES). Nous aurions failli à notre mission si nous célébrions la coopération internationale aux dépens des victimes ; si nous sacrifiions celles-ci sur l’hôtel de « l’intérêt et du bien communs ». Le champ de l’article 35 de la Constitution ne s’étend guère à l’exercice d’une profession qui appelle à protéger le pot de terre contre le pot de fer, le particulier contre le groupe, l’individu, faible et vulnérable contre un Etat, fort et froid.
3. Les manquements à la déontologie de leur profession par les Avocats relèvent de la compétence du Conseil de l’Ordre. Les insinuations transparues dans le communiqué du Conseil des ministres eussent été transmises au Bâtonnier que l’Etat de droit en ressortirait grandi.
4. L’Etat, ès qualités, et le gouvernement, en particulier, ne sont, ut singuli, parties aux procédures d’instruction ouvertes. C’est le Ministère public qui assure dans le cadre et à l’intérieur de ces procédures, la protection de l’intérêt général y compris, notamment, celui des victimes. La discussion, à l’occasion d’un Conseil extraordinaire des Ministres, instance à laquelle les parties ne sont pas conviées pour exposer leur opinion, est une violation inadmissible de leur droit et une immixtion de l’exécutif dans le judiciaire. Nous vous prions de lire ici nos plus vives protestations contre cette forme d’appel à la vindicte populaire à l’encontre d’une famille déjà meurtrie, et des Avocats qui n’ont fait qu’appeler au respect du droit et la sauvegarde des droits de la personne.
5. Enfin, les menaces diverses, sous la forme du recours à la force publique pour effectuer les prélèvements, de la poursuite des victimes pour obstruction n’inquiètent guère la famille. Nous serions tous heureux d’en discuter, quand il appartiendra au Conseil des Ministres de les engager.
Monsieur le Président de la République,
Le temps ainsi que le mode de pensée et d’action de la justice ne sont pas ceux du politique. Et le Ministre de la justice n’est pas celui des juges. On ne fera pas passer en pertes et profits la vie d’un être humain. C’est le sens de notre engagement aux côtés de la famille.
Lorsque, dans une affaire pénale, les autorités gouvernementales s’impliquent aux dépens de la Justice, qu’elles s’engagent à établir des preuves sans laisser au juge de les découvrir ; lorsque, à cette fin, la médiation est préférée à la justice néanmoins saisie ; lorsque les parties ne sont pas entendues par le juge mais traînées de cénacles d’amis en cercles religieux ; la suspicion raisonnable est une expression de sagesse, et la réserve nécessaire est un outil de salubrité.
Dans les pays dans lesquels on donne l’impression de se mirer pour sauver « l’image du Bénin », qui aurait été écornée par des croyances non scientifiques, il est pourtant apparu qu’en dépit de l’infaillibilité supposée de la science, sur le fondement de leur foi, des citoyens refusèrent de se soumettre à toute opération sur leur corps, en vertu du principe bien établi de l’inviolabilité du corps humain. Respecter la croyance des citoyens est également une obligation constitutionnelle qui pèse sur les autorités publiques.
Nous vous assurons, dans tous les cas, de notre volonté à contribuer, à l’intérieur du cadre judiciaire, et aux côtés de la famille DANGNIVO, à la manifestation de la vérité.
Veuillez agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de notre haute considération.
Charles YANSUNNU
In Fraternité du 20-10-2010,
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